RECHERCHE

▪ Biographie

Issu d’une famille originaire de Fribourg-en-Brisgau (Wurtemberg) – son grand-père s’était installé à Besançon comme bonnetier peu avant 1825 – passionné dès l’âge de 16 ans par la photographie, il crée en 1890 le premier cours public de photographie dans la tour Saint-Jacques à Paris. Il a été le fondateur à Saint-Maur de l’une des plus anciennes fabriques de produits photographiques : c’est en 1897 que la Société Grieshaber, Warcollier et Cie s’installe au n° 3 avenue de Condé dans l’ancienne école de filles. Elle « occupe une cinquantaine d’ouvriers et ouvrières à la fabrication de plaques ou de papiers au gélatino-bromure, ou au chloro-bromure d’argent, de plaques pelliculaires, ou d’articles pour radiologie, et dispose d’une machine à vapeur de 25 chevaux » (Bournon). Elle devient en 1907 la Société As de Trèfle — du nom de la marque de plaques photographiques que le père d’Édouard faisait fabriquer dès 1882 par la maison Graf au Perreux —, dont les papiers et produits photos seront célèbres dans toute la France, mais aussi en Europe, et jusqu’au Japon et en Argentine. Celle-ci rachète en 1911 la fabrique parisienne de papiers photos Tambour à Paris. À la première usine de 1000 m2 située 3 avenue Mahieu, qui disparaîtra en 1932 pour l’élargissement de l’avenue de Condé, s’ajoute en 1923-1925 une nouvelle usine modèle, permettant de réunir la fabrique de plaques et celle de papiers sur un terrain d’un hectare au n° 57 avenue de Condé, agrandie en 1927 et 1930 : le siège de l’entreprise y est transféré cette année-là le 15 avril. L’entreprise se dote aussi d’un magasin à Paris et entre pour un tiers dans une société de fabrication de pellicules installée à Sully-sur-Loire, qui fonctionne de 1928 à fin 1939.

À sa liquidation, As de Trèfle rapatrie la fabrication de pellicules à Saint-Maur en avril 1940. Mais en septembre, l’interdiction de toutes photographies extérieures ruine le marché des surfaces sensibles, alors que la réinstallation du matériel de Sully est en cours. Déjà déficitaire en 1939, As de Trèfle peut difficilement refuser de fournir des produits à une société de Francfort et à quelques sociétés industrielles travaillant pour les Allemands. Cette production atteint près de 20 % de son chiffre d’affaires en 1942. Fin juillet 1943, un important incendie détruit la plupart des bâtiments – qui ne sont pas assurés – et met au chômage les employés, qu’Édouard Grieshaber indemnise. L’incendie sera attribué par la police à Eugène Cas, dit Maurice, militant communiste et résistant activiste, membre d’un groupe FTP chargé de punir les traitres et les collaborateurs, et auteur de nombreux attentats. Dénoncé, Eugène Cas est arrêté en décembre et fusillé au Mont Valérien en mars 1944.

Malgré cela, la production reprend et la prospérité de l’entreprise se manifeste après la Libération par l’augmentation du personnel de 50 % et celle du capital qui passe de 3 millions avant la guerre à 20 millions de francs en 1948. À cette date, le Comité de confiscation des profits illicites évalue à 75 000 francs les profits illicites réalisés sous l’Occupation : le dossier est classé car ce montant n’aurait représenté que 0,2 % du chiffre d’affaires global d’As de Trèfle. L’entreprise fonctionne jusqu’à la mort du fondateur puis de sa veuve (1953). Repris par le groupe de verres optiques Lissac, le site accueille la société SIL (Société industrielle de lunetterie), qui fabrique les montures Amor, inventées en 1946, et la société LOR (Lentilles ophtalmiques rationnelles), créée en 1959, qui fabrique des verres incassables. La fusion de SIL et LOR prend le nom de SILOR en 1968 puis devient ESSILOR de 1972 jusqu’à la fermeture de l’usine de Saint-Maur en 2013.

Édouard Grieshaber était très actif dans les instances professionnelles — il a été président de la chambre syndicale des industries photographies de 1908 à 1922, puis, administrateur-fondateur, dès 1924, aux côtés de Léon Gaumont, Charles Pathé et Louis Lumière, de l’École technique de Photographie et Cinématographie, école mixte qui ouvre en 1926 rue de Vaugirard et deviendra l’École nationale supérieure Louis Lumière —, ainsi que dans les expositions internationales et les organisations de bienfaisance. Il aurait assuré l’approvisionnement en matières premières pendant la guerre de 1914-1918. Passionné par l’histoire du vieux quartier, il fut aussi vice-président du « Vieux Saint-Maur » (1948-1951).

Pierre GILLON

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▪ Bibliographie

  • Bournon, Saint-Maur-des-Fossés, 1905, p. 146-147 ;
  • nécrologie dans Le Vieux Saint-Maur, n° 24, 1951, p. 133 et dans As de Trèfle magazine, n° 18, mai 1951 ;
  • informations et archives de la famille Grieshaber-Lebard (dont historiques de 1932 et 1942 et cahiers de fabrication des produits) ;
  • F. Denoyelle, « Photographie et collaboration. Les épurations dans l’industrie et les agences photographiques », Histoire et archives, n° 9, 2001, p. 125-165 ;
  • www.museedelaresistanceenligne.org.